Les larmes d’un cheval en fin de vie :

Les larmes d’un cheval en fin de vie brutale m’ouvrent la voie d’un amour si puissant que je me suis transformée quelques jours en Thana Doula pour animaux, en sage-femme de la mort.

 

Je prenais soin des deux chevaux d’une amie pendant ses vacances. Elle est rentrée un soir et le lendemain matin elle me téléphone pour me dire que l’un des deux est boiteux et bloqué au milieu du pré. Il ne peut pas poser l’antérieur droit par terre et bouge par petits sauts.

Je suis arrivée et j’ai immédiatement senti que c’était très grave. J’ai pensé que l’épaule était touchée. Pourtant je ne connais pas grand-chose en anatomie équine. Le cheval me semblait fatigué et dans une grande souffrance. J’ai porté sa tête qui s’appuyait sur mon épaule, les lèvres très crispées. Il souffrait terriblement. Je sentais qu’il n’en pouvait plus de lutter contre cette douleur atroce qu’il vivait.

J’ai passé des coups de fils pour qu’un vétérinaire vienne le voir et poser un diagnostic. Après plusieurs appels, un véto est enfin venu. Au mois d’Août c’est difficile.

Nous avons trouvé des rallonges pour apporter l’électricité et faire les radios au milieu du pré puisque le cheval ne pouvait absolument plus bouger. Le vétérinaire nous a montré les radios à l’intérieur du coffre de ma voiture et c’était évident : irréparable, la tête de l’épaule était arrachée avec les ligaments rompus, et l’os cassé en deux presque verticalement. Pas besoin d’être véto pour comprendre que c’est fini.

Le vétérinaire a sédaté le cheval dont je portais la tête, puis endormi. Le cheval s’est couché et j’ai gardé sa tête sur mes jambes en le caressant et en l’encourageant à partir. A la troisième piqûre, celle qui fait que le cœur ralenti jusqu’à l’arrêt, j’ai caressé ses naseaux et respiré avec lui. Il a laissé couler quelques larmes qui m’ont bouleversées. Comme s’il me disait qu’il n’avait pas voulu partir si tôt ou comme s’il était soulagé de ne plus souffrir.Je pleurais aussi. J’ai voulu l’embrasser et au moment où ma bouche a touché son naseau le dernier souffle l’a quitté. Et je savais que c’était ça. J’ai regardé le vétérinaire qui l’auscultait au stéthoscope et nous nous sommes compris par un échange de regards dans un silence entendu.

 

Ces quelques heures auprès de lui m’ont mises dans une stupeur et une gratitude d’avoir pu être là. Ce cheval est parti dans mes bras, avec tout l’amour et les encouragements que je pouvais lui prodiguer. Bouleversant, improbable, rapide, brutal et doux en même temps. Étrange est le mot qui me paraît être le plus juste.

Son copain était présent, et quand je me suis levée, je lui ai mis une longe et l’ai emmené vers celui qui était au sol, sans vie. Il est venu, l’a respiré, et n’a pas voulu me suivre. Je suis restée avec lui quelques minutes et puis il m’a suivie quand je suis partie. Je lui avais retiré la longe pour qu’il soit libre de faire ce qu’il voulait et il a consenti à me suivre.

Quelques minutes plus tard il appelait son copain et sa propriétaire l’a emmené le voir, il a voulu arracher la bâche avec laquelle nous avions couvert le corps et s’énervait. Un cheval ne vit pas seul, et seul, il panique.

Je suis allée chercher mes juments au pré dans la ville d’à côté et je les ai emmenées pour tenir compagnie à celui qui restait. J’ai dit à Gaia : Nous avons une mission importante.

J’ai essayé d’être présente pour lui du mieux que je pouvais en accueillant son stress et en étant là. C’est bon d’être là pour celui qui a perdu l’autre.

Le lendemain, le corps a été déplacé pour l’équarrissage et Gaia est venue me toucher de son épaule, elle a tout regardé. Princesse est venue de l’autre côté. J’étais entourée par des êtres qui étaient juste là pour moi, comme j’avais été là pour lui. Je pleurais de gratitude. Elles me portaient, et nous portions le copain qui restait et son humain.

De ce moment étrange et sidérant, je garde le bonheur d’avoir contribué à tous les êtres présents. Je garde encore un cœur un peu lourd des larmes du cheval, et pourtant une gratitude incroyable d’avoir pu faire ça. C’est comme si je n’avais pas eu le choix et que je devais le faire. Comme un appel au soutien, à incarner l’amour plus grand que moi et à l’offrir.

Je ne me sens pas fatiguée, un peu secouée de cette expérience inédite et rare dans laquelle j’avais ce soutien infini à porter.

Le temps est comme suspendu à l’avenir, un moment après l’autre, dans cette seconde permanente du moment présent dans lequel vit le cheval. Quelque chose en moi a changé en profondeur et pour de bon. Rien n’est et ne sera comme avant. C’est radical. Je découvre en moi ce pouvoir incroyable d’être là, juste là et la taille de ce possible.

Le simple fait d’être là, traversée par un amour plus grand que moi et la présence qu’il m’est possible d’offrir est énorme et paisible à la fois, Cet inattendu et cet improbable sonnent comme un appel incontournable en moi. Solide et rond, comme la présence d’un cheval auprès de moi. Presque indescriptible.

Les larmes de ce cheval mourant sont l’amour infini qui aspire à vivre en moi et qui me dit que tout est bien.

 

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